Opération Neptune Spear: la traque et l'élimination de Ben Laden

Osama Ben Laden, le fondateur et le dirigeant de l'organisation terroriste islamiste Al Qaida, est tué au Pakistan dans la nuit du 2 mai 2011 peu après 1h du matin, heure locale PKT, ou le 1er mai vers 20h (GMT), par une équipe des Navy SEALs désignée DEVGRU (US Naval Special Warfare Development Group) ou plus communément "Team Six", chargée des opérations de contre-terrorisme, une mission similaire à celle de son homologue de l'armée de terre, la Delta Force, au sein du commandement interarmes SOCOM.

La mission d'élimination, désignée sous le nom de code d'Opération Neptune Spear (le "Trident de Neptune"), en référence au trident sur le badge des SEALs, est menée en coopération avec des opérateurs/coordinateurs de la CIA et des hélicoptères de l'US Army. Elle vise la résidence où est supposé se trouver Ben Laden à Abbottabad, une petite ville située à environ 65km au nord-est de la capitale Islamabad. Après le raid, des échantillons d'ADN sont prélevés pour identification, et le cadavre est immergé en mer vingt-quatre plus tard, par l'USS Carl Vinson et dans le respect des rites funéraires musulmans, la localisation étant gardée secrète pour éviter que des djihadistes ou des islamistes ne s'en servent comme lieu de recueillement ou de dévotion.

Al Qaida confirme la mort de son chef historique quatre jours plus tard, le 6 mai, et jure de se venger. D'autres groupes islamistes, comme les Talibans opérant au Pakistan, font des déclarations similaires à la presse. L'annonce de sa mort au peuple américain, déclenche aux Etats-Unis une explosion de joie, mais elle est condamnée par plusieurs pays, dont Cuba et le Venezuela, ainsi que par le président de l'Autorité palestinienne, Ismail Haniyeh, et l'administration du Hamas dans la Bande de Gaza. La question de la légalité de cette opération est également remise en question par plusieurs organisations non-gouvernementales dans le monde entier, dont Amnesty International et la Ligue Internationale de Défense des Droits de l'Homme de l'ONU. La décision prise par le gouvernement américain de ne pas publier les photographies du corps ou les résultats des tests ADN, entraîne presque aussitôt toute une série de controverses et de théories de complot fantaisistes.

Le rapport d'enquête et d'investigation des autorites pakistanaises, sous l'égide de la "Commission Abbottabad" menée par le ministère de la Justice et le Premier ministre de ce pays, Hawaz Sharif, chargée de mettre en lumière les zones d'ombre et les circonstances exactes de la mort de Ben Laden, rend ses conclusions deux ans plus tard. Et malgré les tentatives d'Islamabad de le garder secret et de l'enterrer dans un tirroir de la bureaucratie, ce rapport est publié par la chaine Al Jazeera le 8 juillet 2013.




Contexte historique.

Deux jours après les attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush déclare: "Le plus important pour nous est de chercher et de trouver Ben Laden." Il ajoute: "C'est notre priorité absolue, et nous ne nous arrêterons pas avant de l'avoir retrouvé."

Le 3 juillet 2006, la CIA annonce qu'elle a constitué, fin de l'année précédente, une équipe chargée exclusivement de cette tâche, et désignée sous le nom de code Alex Station. L'agence de renseignement déclare que cette traque est classée "hautement prioritaire".

En 2008, lors d'un débat de la campagne présidentielle l'opposant au candidat républicain John S. McCain, Barack Obama déclare: "... Et si nous localisons Ben Laden au Pakistan et que le gouvernement pakistanais se montre incapable de l'arrêter et de nous le livrer, alors j'estime que nous nous passerons d'eux et que nous irons le chercher nous même. Nous allons éliminer Ben Laden et écraser Al Qaida." Dans les faits, Obama fait remarqué qu'il est disposé, s'il y est forcé, de se passer des autorisations du gouvernement pakistanais et d'intervenir sur son territoire sans son accord. En clair, d'accomplir "un acte de guerre envers un pays supposé allié ou ami". C'est une déclaration singlante qui peut entrainer des graves conséquences politiques.


Objectif: localiser Ben Laden.

Les efforts de la communauté américaine du renseignement pour déterminer l'emplacement d'Osama Ben Laden, qui conduiront finalement à l'opération Neptune Spear, débute en 2002 avec diverses informations fragmentaires obtenues lors d'interrogatoires de membres d'Al Qaida ou de Talibans détenus au Camp Delta, dans la base navale de Guantanamo Bay à Cuba, ou dans des prisons afghanes. Ces renseignements finissent par aboutir, en août 2010, à la localisation d'une résidence suspectée d'abriter l'ennemi public n°1 des Etats-Unis, à Abbottabad, une ville provinciale située à environ 65km au nord-est d'Islamabad. Dès lors, ce domaine est placé sous haute surveillance constante.



1° Identifier le messager personnel de Ben Laden.

L'identification des messagers d'Al Qaida est une priorité pour les interrogateurs de la CIA dans le camp de détention de Guantanamo, tout simplement parce que les communications entre Ben Laden et ses principaux lieutenants ne s'effectuent plus que de cette manière basique. Depuis 1998, quand des missiles américains avaient éliminés des cibles en Afghanistan et au Soudan grâce à l'interception et le repérage de leurs conversations par téléphones satellites ou portables, Ben Laden ne les utilise plus.

En 2002, les interrogateurs obtiennent, à partir des aveux de Mohammed al Qahtani, un membre d'Al Qaida arrêté à Tora-Bora le 21 novembre 2001, le nom de guerre d'un de ces messagers: Abu Ahmed al-Kuwaiti (à ce moment les Américains ignorent encore sa véritible identité), qui fait également partie, semble-t-il, des proches du Saoudien au sein du cercle intérieur de son organisation.

En 2003, Khaled Sheik Mohammed, le Chef des Opérations d'Al Qaida arrêté à Rawalpindi le 1er mars, affirme qu'il connait lui aussi al-Kuwaiti et lui sert pour transmettre des courriers jusqu'à Ben Laden, tout en déclarant que le messager n'est pas membre actif d'Al Qaida.

En 2004, un autre prisonnier détenu à Guantanamo, Hasan Ghul, membre d'Ansar al-Islam opérant en Irak, révèle et confirme aux interrogateurs américains que Ben Laden se sert exclusivement d'un messager de confiance surnommé al-Kuwaiti. Celui-ci sert essentiellement d'intermédiaire entre Ben Laden et le successeur de Sheik Mohammed, Abu Faraj al-Libbi. Ghul révèle, comme les Américains le suspectent fortement, qu'al-Kuwaiti vit dans la même maison que Ben Laden. Mais confronté aux déclarations de Ghul, Sheik Mohammed maintient sa version originale. Ce dernier et al-Libbi, arrêté à son tour à Mardan, au nord de Peshawar, le 2 mai 2005, minimisent l'importance et la place d'al-Kuwaiti au sein d'Al Qaida. Face à ces versions contradictoires, les Américains se mettent à douter que le messager fait bien partie du cercle intérieur de l'organisation terroriste.

En 2007, enfin, la CIA prend enfin connaissance de la véritable identité d'al-Kuwaiti, information qui sera en 2011 confirmée par le Pakistan: Ibrahim Saeed Ahmed, originaire de la Vallée du Swat, près de la frontière afghane. Lui et son frère vivraient avec leur famille respective dans la résidence de Ben Laden, quelque part dans cette région.

En 2010, grâce aux interceptions de conversations téléphoniques d'al-Kuwaiti, la CIA parvient, après presque huit ans de recherches et d'échecs, à le localiser. Les opérateurs de la CIA le surveillent et le suivent discrètement pendant plusieurs mois, si bien qu'il finit par les mener à une résidence d'Abbottabad, une ville de moyenne importance à environ 65km au nord-est de la capitale, Islamabad. La superficie inhabituelle de la propriété, sept ou huit fois plus importante que celles des habitations voisines, et les mesures strictes de sécurité qui y règnent, mettent tout de suite la puce à l'oreille des analystes de la CIA, à Langley en Virginie. En août de cette année, ce domaine est placé sous haute surveillance constante, à la fois par des moyens humains (visuels) et photographiques (satellites et drones d'observation). Une série de tentatives pour identifier avec précision les personnes présentes n'aboutissent pas, bien que les Américains soient sûrs à plus de 80% que Ben Laden s'y trouve. Et cette situation n'évolue plus pendant les mois suivants.

Ci-dessous: trois des membres d'Al-Qaida, dont les interrogatoires ou la surveillance conduiront les Américains jusqu'à Ben Laden. De gauche à droite, 1° Abu Faraj al-Libby. 2° Khalid Sheik Mohammed. 3° Abu Ahmed al-Kuwaiti.



2° La résidence de Ben Laden à Abbottabad.

La CIA utilise des photos de surveillance venant de drones ou de satellites, des logiciels de "reconnaissance faciale", des observations visuelles et des rapports de renseignement pour déterminer avec exactitude l'identité des habitants de la résidence d'Abbottabad où l'a conduit le messager d'Al Qaida. En septembre 2010, l'Agence parvient à la conclusion, avec plus de 85% de certitude, qu'elle abrite Ben Laden. Celui-ci y vivrait avec sa plus jeune femme et sa famille.


Construit en 2004 et comprenant trois étages, la résidence est située au bout d'un chemin de campagne difficilement praticable en voiture, à environ 4km au nord-est du centre-ville. En outre, à 1.3km au nord-est, se trouve l'Académie Militaire Pakistanaise (PMA). Abbottabad est localisée à 160km de la frontière afghane, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, dans le nord-est du pays, et est la capitale du district portant le même nom. Elle est entourée de collines.


La superficie de la propriété est sept ou huit plus importante que celle des maisons voisines. Le domaine est entouré d'un mur d'enceinte de 3.7 à 5.5 mètres de hauteurs, surmonté par des fils barbelés. Il comprend deux portes d'entrée, la terrasse et les fenêtres du troisième étage de l'immeuble étant dissimulés par un mur de béton de 2.1m de haut. L'immeuble n'a ni l'accès à Internet, ni relié à un réseau téléphonique fixe. Les résidents brûlent eux-mêmes leurs déchets et le contenu de leurs poubelles, et n'ont pratiquement aucun contact avec leurs voisins. Après le raid américain et la mort de Ben Laden, les autorités pakistanaises détruiront cette propriété en février 2012.

Ci-dessous: 1° Photo d'un drône de la CIA de la propriété de Ben Laden à Abbottabad. 2° Photo du domaine prise le 4 mai 2011, deux jours après le raid américain.





Code Name Geronimo: le raid héliporté.

Le nom de code officiel donné à cette mission est "Opération Neptune Spear" (Trident de Neptune), en référence au trident représenté sur le badge des Navy SEALs, les trois piques symbolisant les capacités Mer, Air et Terre (SEa, Air & Land) de leur nom. Son objectif initial est de "tuer ou de capturer" Osama Ben Laden. Le conseiller en contre-terrorisme de la Maison-Blanche, John O. Brennan, déclare après le raid: "Si nous avions l'opportunité de le prendre vivant, si à cet instant il ne représentait aucune menace, alors nous ne devions pas écarter cette possibilité." Le directeur de la CIA, Léon Panetta, déclare sur PBS: "L'ordre est clairement de tuer Ben Laden... Selon les règles d'engagements des militaires américains, si vous levez les bras, avez l'intention de vous rendre et ne représentez aucune menace, alors l'ordre est de le capturer vivant. Mais les commandos ont bien reçu l'autorisation de le tuer."

Un membre de la Sécurité Nationale, anonymement, déclare à Reuters: "C'est clairement une opération d'élimintation", marquant bien par là l'intention manifeste de ne pas essayer de le capturer vivant. "C'est bien un ordre d'élimination (Kill Order) et non un ordre de capture qui est donné. Et les SEALs se sont conformés à cet ordre."


1° Planification et décision finale.

En janvier 2011, la CIA expose la situation et donne des informations sur la résidence de Ben Laden au vice-amiral William H. McRaven, le commandant du Joint Special Operations Command (JSOC), le Commandement interarmes des Opérations Spéciales, qui comme son nom l'indique regroupe et coordonne toutes les forces spéciales de l'US Army, de l'US Navy, de l'US Air Force et de l'US Marine Corps. McRaven déclare qu'un raid de commando pourrait très bien être envisagé et privilégie cette option. Il donne l'ordre à un capitaine de l'US Naval Special Warfare Development Group (DEVGRU), nom de code "Brian", de travailler en collaboration avec une équipe de la CIA à Langley, en Virginie, pour concevoir une maquette de la résidence, préparer et planifier une intervention héliportée ou aéroportée sur zone.

Parallèlement à cela, l'option aérienne n'est pas écartée non plus. Un plan d'intervention de drones Predator équipés de missiles guidés, de chasseurs F-22 Raptor ou de bombardiers furtifs B-2 Spirit est mis au point. Les membres du JSOC impliqués dans la préparation envisagent une opération conjointe avec l'armée pakistanaise. Mais Barack Obama rejette cette option, par crainte des fuites éventuelles, et d'alerter Ben Laden et de le laisser disparaître une fois de plus.


Le 14 mars 2011, Obama se réunit avec le Conseil National de Sécurité pour récapituler toutes les options envisageables. Le président est préoccupé par le fait que cette mission devra être planifiée et exécutée en un laps de temps assez court, et dans le plus grand secret. Pour cette raison, il décide de ne pas avertir ou d'impliquer le gouvernement pakistanais dans l'affaire. Le Secrétaire à la Défense, Robert Gates, et plusieurs militaires expriment leurs doutes sur la présence effective de Ben Laden dans sa propriété, et sur le fait qu'un raid commando est une opération très risquée. A la fin de cette réunion, le président américain semble préférer l'option du bombardement aérien. Deux officiers de l'US Air Force sont donc chargés d'approfondir et de préparer une telle mission.

La CIA est incapable de s'assurer qu'un bunker souterrain existe sous la résidence. Envisageant le cas, des bombes de 910kg à fort pouvoir de pénétration sont équipées avec des systèmes de guidage JDAM pour être larguées à partir de B-2 Spirit ou de F-22 Raptor. Cependant, cette option a l'inconvénient des pertes collatérales que cela entraineraient (une douzaine de civils) et le fait qu'il serait impossible de prouver la mort de Ben Laden. Conscient de ces problèmes, lors de la réunion du Conseil de Sécurité du 29 mars, Obama range cette option de côté et la met en sommeil. Le Président charge alors le vice-amiral William McRaven de concevoir un assaut héliporté. La communauté américaine du renseignement, de son côté, étudie l'option d'un tir d'un missile ou d'une bombe guidée par laser de 227kg, à partir d'un drône.

McRaven rassemble donc des soldats provenant du Red Squadron (Escadron Rouge), l'un des quatre composant le DEVGRU "Team Six". Ces hommes, qui opèrent sur ce théâtre d'opérations depuis plusieurs années, ont été habitués aux coutumnes tribales et aux languages/patois de la région frontalière entre l'Afghanistan et le Pakistan. Ils sont transférés discrètement et individuellement, pour ne pas attirer l'attention, jusqu'aux Etats-Unis. Le 10 avril, à Harvey Point en Caroline du Nord, les SEALs commencent un entrainement rigoureux et intensif dans une installation secrète de la CIA, grâce à une reconstitution en grandeur nature du domaine d'Abbottabad. Le 18 avril, pour les habituer au climat, à la haute altitude et à la nature du terrain où ils opéreront, ils déménagent pour la Zone 51, dans le désert du Nevada. Là, ils se familiarisent également au transport d'assaut héliporté de nuit et aux capacités particulières de leurs montures.

Pour progresser jusqu'à Abbottabad sans être détecter par les Pakistanais, deux hélicoptères UH-60 Black Hawk du 160th Special Operations Aviation Regiment Night Stalkers de l'US Army ont en effet été profondément modifiés à cette occasion. Redésignés MH-X, ils sont équipés d'un revêtement furtif similaire à celui du B-2, de nouvelles pales de rotors en matériaux composites, de réducteurs de bruits ou de signature thermique.

Photos ci-dessous: 1° Hélicoptères MH-X spécialement modifiés pour cette mission. 2° Membre des Navy SEALs du "Red Squadron" assignés à cette opération.




Les planificateurs pensent que les SEALs seront capables de voler jusqu'à Abbottabad et de revenir sans avoir été détectés, grâce aux capacités furtives des MH-X. Depuis que les Etats-Unis équipent et entraînent le Pakistan, ses capacités de détection, de défense ou de riposte sont parfaitement connus de Washington. L'armée de l'air pakistanaise est essentiellement composée de chasseurs F-16 Fighting Falcon et d'hélicoptères UH-1 Iroquois et UH-60 Black Hawk, et l'emplacement de ceux-ci sont sous surveillance des Américains 24h/24. Au cas où malgré tout, ils décolleraient en urgence, les Etats-Unis en seraient immédiatement informés, et la mission avortée.

Si Ben Laden est capturé vivant, il devra être évacué sur la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, où il attendra son transfert aux Etats-Unis. Si les SEALs sont découverts et menacés au sol par les militaires pakistanais, ils ont l'ordre formel de ne pas résister et de se rendre. Dans ce cas, le chef d'état-major interarmes des forces armées américaines, l'amiral Mike Mullen, se tient prêt à négocier leur libération avec son homologue, le général Ashfaq Parvez Kayani.

Lorsque le Conseil National de sécurité (NSC) se réunit de nouveau le 19 avril 2011, le président Obama donne son autorisation pour l'option du raid héliporté. Le 26 avril, McRaven et les SEALs décollent à bord d'un C-17 d'Oceana, en Virginie, pour l'Afghanistan. Après une escale de ravitaillement à Ramstein, en Allemagne, ils atterrissent à Bagram, où à l'aide d'une maquette grandeur naturelle de la résidence de Ben Laden, ils suivent un ultime entraînement dans un secteur de la base bouclé et sévèrement contrôlé, désigné "Camp Alpha".

Le 28 avril 2011, Mullen expose le plan d'opération final au NSC. Pour appuyer et seconder l'Escadron Rouge principal, deux MH-47D Chinook des Night Stalkers resteront en retrait, prêts à intervenir. La plupart des conseillers présents à cette réunion sont d'accord pour lancer l'opération, mais le vice-président Joe Biden y est opposé. Robert Gates plaide pour son plan alternatif de bombardement par drône, mais il changera d'avis le lendemain et se raliera à l'option de l'assaut héliporté. Barack Obama annonce qu'il veut s'entretenir personnellement, par téléphone, avec McRaven en Afghanistan, avant de donner son feu vert. McRaven lui annonce que ses hommes sont entièrements prêts et impatients, et que les prochaines nuits seront sans lune, une condition idéale pour le raid.

Le 29 avril 2011, à 8h20 EST, le fuseau horaire sur la Côte Est des Etats-Unis (GMT-5), Obama donne l'ordre final d'exécution. Le raid débutera le 1er mai dans la soirée (heure locale). Le président est informé que cet horaire pourra être repoussé d'une journée, en cas de conditions météorologiques défavorables.

Le 30 avril 2011, Obama téléphone à McRaven pour lui donner sa bénédiction et le remercier. Dans la soirée, aux Etats-Unis, pour donner le change et ne pas alerter la presse, il participe à un gala à la Maison-Blanche, et s'entretient avec plusieurs acteurs de cinéma.

Le 1er mai 2011, peu après 15h à Washington DC, Obama gagne la Salle de Crise (Situation Room) de la Maison-Blanche, et rejoint divers représentants du NSC pour suivre le déroulement du raid sur un écran géant. Léon Panetta, depuis son QG de Langley, commente les images dans un cadre dans le coin supérieur gauche de l'écran. La zone de la cible est filmée en vision nocturne par un drône Sentinel. Par ordinateur portable, le commandant adjoint du Joint Special Operations Command (JSOC), le brigadier-général Marshall Webb, s'entretient avec son état-major à Fort Bragg, en Caroline du Nord. Deux autres centres de crise observent les images du raid sur moniteurs: le Pentagone et l'ambassade américaine d'Islamabad.

Photo ci-dessous: l'après-midi du 1er mai 2011, dans la Situation Room de la Maison Blanche, Barack Obama et son vice-président Joe Biden (assis à gauche), ainsi que plusieurs membres de son Cabinet et du Conseil National de Sécurité, observent le déroulement du raid des Navy SEALs sur grand écran de télévision. Sont présents le Secrétaire d'Etat Hillary Clinton (la main sur la bouche), le brigadier-général Marshall Webb (assis au centre) et le Chef d'Etat-Major Interarmes américain, l'amiral Mike Mullen (débout à gauche, derrière Webb).



2° Déroulement de la mission "Geronimo".

Le groupe d'assaut principal compte 12 commandos SEALs DEVGRU de l'Escadron Rouge, transportés par les deux MH-X Black Hawk modifiés. Ils décollent de Jalalabad vers 23h heure locale (GMT+5), c'est-à-dire 15h à Washington DC, le 1er mai. Pour des raisons légales, ils sont placés temporairement sous l'autorité de la CIA. Ce groupe opèrera au sol en deux sections, les SEALs sont dotés de fusil d'assaut Heckler & Koch HK416, une variante allemande du Colt M4, plus compacte et légère que le célèbre M16A2, de pistolets mitrailleurs Heckler & Koch MP7, tous équipés de silencieux, d'armes de poing automatique, de grenades lachrymogènes, de lunettes de vision nocturne et de gilets blindés de protection. Le groupe d'assaut comprend également un chien, un Berger Malinois nommé Cairo, chargé d'intercepter quiconque s'échepperait de l'enceinte et tenterait d'alerter les forces de sécurité pakistanaises dans la ville. Un total de 79 hommes, en comptabilisant les équipages des avions et hélicoptères de soutien, sont impliqués dans ce raid. Les deux MH-X et les deux MH-47D font partie du 160th Special Operations Aviation Regiment (SOAR) de l'US Army.

Les Chinook sont équipés de mitrailleuses M134 Minigun et de réservoirs de carburant supplémentaires pour les Black Hawk, et transportent 24 autres SEALs. Ils décollent de Jallalabad trois quarts d'heure après les deux MH-X d'assaut, en suivant le même trajet, environ 200 kilomètres à vol d'oiseau entre les deux villes. Ils resteront en soutien en retrait, en tant que Quick Reaction Force (QRF), ou "Force de Réaction Rapide". Leur mission est d'interdire à des militaires pakistanais d'interférer avec le raid.

Les quatre hélicoptères du SOAR sont appuyés par une dizaine d'autres machines: deux avions d'attaque F/A-18E Super Hornet et deux MV-22 Osprey du porte-avions Carl Vinson en couverture, un satellite d'observation et un drône Sentinel chargés de filmer la mission en vision nocturne. Un E-3C AWACS Sentry et un EA-6B Prowler sont chargés de surveiller l'activité aérienne et électronique des Pakistanais. Un AC-30 Gunship ("Cannonière Volante") et un avion de ravitaillement en vol MC-130 Hercules se tiennent également prêt à intervenir, en cas de besoin.


Les hélicoptères doivent voler en rase-mottes sous la couverture radar pakistanaise. Dans une région au relief accidenté et montagneuse, cela n'est pas une mince affaire. Mais tout se déroule relativement bien, le vol entre Jalalabad et Abbottabad prenant une heure et demie.

Les deux MH-X d'assaut arrivent au-dessus de l'objectif à 1h30 du matin. D'après le plan, le premier hélicoptères (nom de code "Black Hawk One") doit se poser dans le périmètre à l'intérieur de la propriété, déposer ses SEALs puis redécoller aussitôt. Mais destabilisé par les remous d'air remontant du sol, le rotor de queue accroche le mur d'enceinte et l'hélicoptère se crashe, puis s'immobilise renversé sur son côté droit. Ses occupants, secoués et blessés à divers degrés, sont saufs, l'évacuent d'urgence et poursuivent leur mission. Le plan initial, qui consistait à investir la résidence depuis le rez-de-chaussée et le toit, est abandonné...

Au lieu d'hélitreuillé les SEALs sur le toit, le second hélicoptère ("Black Hawk Two") se pose à l'extérieur de l'enceinte, du côté nord-ouest, et les SEALs doivent pour entrer, pratiquer des brêches à l'explosif dans le mur et les portes. Lorsque les SEALs du premier hélicoptère, blessés et commotionnés pour la plupart dans le crash, tentent de pénétrer dans l'annexe secondaire, ou "pièce des invités", une fusillade éclate. Al-Kuwaiti, le messager de Ben Laden, est tué. Sa femme Mariam est légèrement blessée au bras gauche. Au rez-de-chaussée de l'annexe principale, la seconde équipe tombe sur un couple d'adulte et leurs enfants. Abrar, un des frères d'Al-Kuwaiti, est tué, ainsi que sa femme Bushar. Celle-ci sera la seule victime collatérale du raid américain.

Ben Laden et des membres de sa famille occupent les deux autres étages. Au premier, un des fils de Ben Laden, identifié plus tard comme Khalid, est abattu lorsqu'il tente de fuir par l'escalier. Ben Laden, sa jeune femme (la troisième) Khairiah et la fille de 12 ans de celle-ci, Safia, occupent l'appartement du second étage. C'est dans la chambre qu'ils se sont retranchés. Après avoir fait sauter la porte, le premier SEAL à pénétrer dans la pièce, Robert O'Neil, abat le chef d'Al Qaida d'une balle dans la poitrine. Ben Laden s'écroule, et un second SEAL, Matt Bissonnette, s'assure de sa mort en lui tirant dans la tête. La femme de Ben Laden est blessée aux jambes lorsqu'elle a tenté de s'interposer, et sa fille est atteinte aux pieds par les débris de l'explosion de la porte. L'opérateur radio de l'équipe annonce alors: "For God and Country ("Pour Dieu et la Patrie") - Geronimo, Geronimo, Geronimo!". Lorsque McRaven demande confirmation, le SEAL répète: "Geronimo E.K.I.A." (Enemy Killed In Action). Regardant le déroulement du raid depuis la Situation Room de la Maison-Blanche, Obama prononce les mots: "We got him" (On l'a eu), puis quitte la pièce.

Deux armes sont présentes dans cette chambre: un AKSU (une Kalashnikov à crosse repliable) et un pistolet automatique Makarov, que Ben Laden n'a pas eu l'occasion de saisir. La sécurisation, la fouille et la saisie du matériel informatique et de documents dans différentes pièces prend une quinzaine de minutes. L'épave de l'hélicoptère écrasé est détruite pour éviter que les Pakistanais ou Al-Qaida mettent la main sur la technologie. Puis le corps de Ben Laden et les SEALs sont évacués par le MH-X et un des Chinook. Le raid, qui devait s'effectuer en maximum une demi-heure, a pris 38 minutes en tout. Il se termine avec huit minutes de retard sur l'horaire programmé. Au cours de ce raid, 22 résidents sont présents dans la propriété. 5 adultes, 4 hommes et 1 femme, sont tués. Les 4 autres femmes et 13 enfants et petit-enfants sont saufs et regroupés dans une pièce du rez-de-chausée et laissés là.

L'assaut et l'affrontement proprement dits ont duré 18 minutes. Il faut 20 minutes supplémentaire pour que les SEALs collectent et rassemblent ce qu'ils peuvent emportés, dans des sacs poubelles: courrier personnel, documents écrits, clés USB, DVD et CD-ROM, disques durs, etc. A l'extérieur de la propriété, un secouriste effectue des prélèvements d'ADN sur le corps de Ben Laden, avant que celui-ci ne soit chargé à bord d'un des MH-47D Chinook.

A 1h42 du matin, les trois hélicoptères du SOAR quittent Abbottabad et retournent vers la base de Bagram, où ils atterrissent à 3h30. Là, le corps de Ben Laden est chargé à bord d'un MV-22 Osprey pour être acheminé sur le porte-avions Carl Vinson. Aucun pays ne désirant accueillir sa dépouille, elle sera immergée en mer, en un lieu gardé secret pour éviter tout recueillement ou marque de dévotion, après avoir obtenu l'accord des autorités saoudiennes et selon les rites funéraires musulmans.

Photo ci-dessous: des militaires pakistanais inspectent et tentent de dégager le retor de queue du MH-X détruit dans la journée du 2 mai 2011.


Conséquences politiques américaines et internationales.

1° Identification formelle de Ben Laden.

Plusieurs méthodes sont pratiqués ou pris en compte pour l'identification formelle de Ben Laden:
  1. Mesure de la taille. Ben Laden mesurait 1.93m. Les SEALs n'ayant pas de moyens de mesure sur eux, mais connaissant sa taille, ils procèdent par comparaison avec sa dépouille.
  2. Reconaissance faciale. A partir de photographies prise pendant le raid. Accomplie par ordinateur au siège de la CIA à Langley, en Virginie, elle donne un résultat positif à 95%.
  3. Identification visuelle. Demandée aux membres de sa famille pendant le raid. Le corps est formellement identifié par sa femme Khairiah.
  4. Identification ADN. C'est la méthode scientifique la plus sûre, et la plus incontestable. Selon l'Associated Press et le New York Times, des tests comparatifs ont été effectués, entre d'une part des prélevements de sang et de tissus, d'une soeur de Ben Laden, soignée et décédée au Etats-Unis d'un cancer. Et d'autres part, des échantillons prélevés sur sa dépouille, sur place à Abbottabad. L'écart d'erreur est pratiquement nul ou infinitésimal (1 chance sur 11.8 * 10e15).
  5. Méthode par déduction, ou "inférence". A partir des documents saisis à Abbottabad: lettres, courrier personnel, disques durs, CD ou DVD vidéos enregistrés, témoignages de membres de sa famille, etc.
Le 1er mai 2011, à 21h45 EST, heure de la côte Est des Etats-Unis, la Maison-Blanche annonce que le président "s'adressera à la nation" un peu plus tard. A 23h35, Obama apparaît sur toutes les grandes chaines de télévision des Etats-Unis, et fait une déclaration: "Good evening. Tonight, I can report to the American people and to the world that the United States has conducted an operation that killed Osama bin Laden, the leader of al-Qaeda, and a terrorist who was responsible for the murder of thousands of innocent men, women, and children…".

Il relate les attentats du 11 septembre 2001 et ses milliers de victimes, les dix années de guerre contre le terrorisme, la longue et pénible traque de Ben Laden, les projets d'attentats déjoués, la puissance et la volonté du peuple américain d'aller jusqu'au bout de son combat, la chute des Talibans, la capture ou l'élimination des principaux chefs d'Al Qaida, etc. Il réaffirme que les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre l'Islam et qu'ils demeurent l'Allié des pays arabes (en particulier du Pakistan, de l'Afghanistan et de l'Arabie Saoudite). A cette nouvelle, les Américains laissent éclater leur joie et un peu partout, célèbrent sa mort.







2° Justification légale.

Le 14 septembre 2001, le Congrès américain adopte la Pub. Law 107-40 "Authorization for Use of Military Force" (AUMF), autorisant l'utilisation des forces militaires des Etats-Unis contre les responsables des attentats du 11 septembre. Cette autorisation garantit au président (chef suprême des armées) l'autorité pour utiliser toute "force appropriée et nécessaire" contre quiconque a "planifié, autorisé, commis ou aidé" les attaques terroristes sur le territoire américain, ou des pays qui les abritent. Dans ce cas, le décret présidentiel (Executive Order) 12333, qui interdit formellement aux Etats-Unis de mener des opérations d'assassinat politique (signé par Ronald Reagan en 1981), n'entre pas en application. Parce qu'il s'agit dans ce cas d'une action militaire, et qu'il est autorisé de tuer des commandants ennemis.

Comme témoigne l'Attorney Général Erich Holder: "L'opération contre Ben Laden est légale et comparable à une action de guerre." Il rappelle que l'élimination d'un commandant ennemi est légal, que la mort de Ben Laden est une justice pour les 3,000 personnes qui ont perdu la vie le 11 septembre 2001.



3° Réactions internationales.

Au Pakistan, le raid américain provoque une cascade de protestations, et parfois quelques commentaires mitigés. Le premier ministre Yousuf Raza Gilani, au cours d'un entretien avec le président Asif Ali Zardari, déclare: "Nous ne pouvons permettre que notre pays serve pour mener des attaques terroristes contre d'autres pays, par conséquent je pense que cette opération est un succès, une grande victoire." Mais dans l'ensemble, la classe politique pakistanaise condamne le raid américain, certains avec plus de véhémences que d'autres. Selon un sondage d'opinion, 72% de la population le désaprouve, et 66% ne croient pas à la mort de Ben Laden à Abbottabad.

Le rapport d'enquête et d'investigation des autorites pakistanaises, sous l'égide de la "Commission Abbottabad" menée par le ministère de la Justice et le Premier ministre de ce pays, Hawaz Sharif, chargée de mettre en lumière les zones d'ombre et les circonstances exactes de la mort de Ben Laden, rend ses conclusions deux ans plus tard. Et malgré les tentatives d'Islamabad de le garder secret et de l'enterrer dans un tirroir de la bureaucratie, ce rapport est publié par la chaine Al Jazeera le 8 juillet 2013. (1)

Partout dans le monde entier, la grande majorité des pays approuvent cette opérations. Seuls quelques pays comme l'Iran, Cuba ou le Vénézuela, désapprouvent le raid américain. Parmi la population palestinienne, les avis sont partagés: Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité Palestinienne, dans les Territoires Occupés, l'approuve. Ismail Haniyeh, à la tête du Hamas dans la Bande de Gaza, la condamne, comparant Ben Laden à un "Guerrier Saint Arabe".


(1) Al Jazeera, "Document: Pakistan's Bin Laden Dossier", 8 July 2013.


L'élimination de Ben Laden au cinéma: Zero Dark Thirty.

En 2012, la réalisatrice Kathryn Bigelow relate les dix ans de traque et l'élimination d'Ossama Ben Laden dans son film Zero Dark Thirty ("Zero Heure Trente"), dont voici quelques extraits vidéo:







Documentaires: l'opération Neptune Spear.

1° Investigations: Objectif Ben Laden (2011).

"Investigations: Ben Laden" est un documentaire-fiction réalisé en 2011 pour la chaine télévisée France Ô.



2° Opération Neptune Spear: l'élimination de Ben Laden (2012).

Documentaire réalisé par la chaine télévisée National Geographic en 2012.



Article modifié le 25 avril 2020.


Sources principales:
Death of Ben Laden (Wikipedia.org)

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